Le leadership audacieux et créatif de la PDG d’Hydro-Québec, Claudine Bouchard
Comment diriger une transformation de 200 milliards quand il est impossible d’augmenter les prix ? C'est le défi que Claudine Bouchard a accepté en prenant la tête d'Hydro-Québec. Son mandat : électrifier une économie entière et moderniser un réseau centenaire en préservant des tarifs gelés.
PDG, Hydro Québec
Sa réponse :
« Soyons déraisonnables. »
Comment diriger une révolution énergétique alors que vous ne pouvez pas augmenter vos prix ?
Juillet 2025. Claudine Bouchard accepte un mandat contradictoire : transformer Hydro-Québec, géant centenaire de l'hydroélectricité, en une organisation agile capable d'électrifier une économie entière.
Le budget? 200 milliards de dollars.
La contrainte? Elle ne peut pratiquement pas augmenter ses tarifs.
Sa réponse à son équipe, le jour de sa prise de fonction : « Soyons déraisonnables. »
Cette phrase n'est pas une provocation. C'est un manifeste. Dans un monde où les contraintes se multiplient — financières, politiques, climatiques — les leaders qui réussissent ne sont plus ceux qui gèrent l'existant avec prudence, mais ceux qui convertissent l'impossible en architecture stratégique. Claudine Bouchard incarne ce Nouveau Leadership : ancrée dans l'expertise technique, mais résolument engagée à bousculer les conventions.
Son histoire est celle d'une dirigeante qui ne subit pas les contraintes — elle les mue en leviers. Ce faisant, elle offre une leçon précieuse à tous les leaders confrontés au même défi : comment accomplir l'impossible quand les conditions sont défavorables ?
L'équation impossible
Hydro-Québec n'est pas une entreprise ordinaire. Avec 37 GW de capacité installée, c'est l'un des plus grands producteurs d'hydroélectricité au monde et le pilier énergétique d'une économie de 8 millions d'habitants. Mais depuis 2015, l'instabilité règne : quatre PDG en dix ans. Dans une industrie où les cycles de planification se mesurent en décennies, cette rotation est paralysante. Les cycles courts de leadership alimentent la prudence interne et freinent l'adoption de stratégies audacieuses.
Le Plan d'Action 2035 est ambitieux : ajouter 13 000 MW de nouvelle capacité (principalement éolienne), moderniser un réseau centenaire et réduire les pannes de 35% sur sept ans. Coût estimé : 200 milliards de dollars canadiens. C'est l'équivalent de reconstruire entièrement l'infrastructure énergétique du Québec tout en la maintenant opérationnelle.
Seul problème : en juin 2025, le gouvernement a imposé un plafond tarifaire limitant les hausses à 3% par an pour protéger les consommateurs. Dans un contexte inflationniste où les coûts de construction explosent, ce plafond transforme l'ambition en un casse-tête financier.
L’équation est brutale : comment financer une transformation historique alors que vos revenus domestiques sont essentiellement gelés? Comment construire massivement et rapidement sans faire exploser les tarifs? C'est exactement le type d'impasse qui paralyse les grandes organisations.
Le gouvernement a instauré un échange stratégique : il a accordé à Hydro-Québec la vitesse d'exécution (en retirant l'obligation d'appels d'offres pour les contrats d'approvisionnement en énergie renouvelable), mais a restreint sa flexibilité financière. Cette situation exige un leadership radicalement différent.
L'architecte ancrée
Claudine Bouchard n'est pas une dirigeante parachutée. Ingénieure de formation, elle a passé 25 ans à Hydro-Québec, dont plusieurs années à diriger la construction du complexe hydroélectrique de La Romaine — un projet de 6,5 milliards de dollars qui lui a appris une leçon cruciale : en infrastructure, la prudence excessive tue l'exécution. Les projets qui réussissent ne sont pas ceux qui minimisent les risques à tout prix, mais ceux qui les anticipent et les gèrent avec une audace disciplinée.
Cette expérience lui confère une légitimité opérationnelle unique. Elle connaît intimement les défis des mégaprojets dans l'environnement québécois : les hivers impitoyables, les distances colossales, les enjeux environnementaux, la complexité des relations avec les communautés autochtones. Quand elle parle de réinventer les méthodes de construction, ce n'est pas une consultante externe qui théorise — c'est une bâtisseuse qui a vécu les chantiers de l'intérieur.
Dès son premier message, elle invite ses équipes à sortir de la zone de confort institutionnelle. Dans un contexte où les méthodes classiques mènent à l'impasse : des coûts qui explosent, des délais qui s'allongent, des parties prenantes qui bloquent… seules des intelligences créatives et collectives permettent d’avancer.
Claudine Bouchard prône la confiance mutuelle, le travail d'équipe et l'adoption de méthodes modernes : robotique, préfabrication, innovation technologique radicale. Elle ne se contente pas de prôner ces changements — elle s'engage à les incarner aux côtés de ses équipes.
Elle assure qu’elle restera dix ans à son poste, la durée complète de son mandat. Après quatre PDG en dix ans, Hydro-Québec avait perdu sa capacité à penser à long terme. Les employés ne s'investissaient plus dans les grandes stratégies, sachant que le prochain dirigeant pourrait tout chambouler. Pourtant, la stabilité du leadership est une condition sine qua non pour instaurer une culture d'exécution. En s'engageant visiblement pour la durée, Bouchard envoie un signal puissant : cette fois, on va jusqu'au bout.
Sa légitimité est renforcée par une reconnaissance institutionnelle externe. Le Prix de l'hydroélectricité au féminin reçu en 2021 et la Médaille du couronnement du roi Charles III en décembre 2024 positionnent Bouchard non seulement comme une technicienne aguerrie, mais aussi comme une architecte capable d'intégrer les dimensions techniques, sociales et environnementales d'une transformation de cette ampleur.
Les trois leviers stratégiques
Face au triptyque de contraintes — croissance massive, modernisation urgente, revenus gelés — Claudine Bouchard a déployé trois leviers stratégiques qui, combinés, rendent l'équation viable.
Premier levier
Optimiser l’exportation comme moteur de financement
Si les tarifs domestiques sont gelés, Bouchard trouve l'argent ailleurs en intensifiant une stratégie commerciale qu'Hydro-Québec pratique depuis longtemps, mais qu'elle érige en véritable moteur de financement de la modernisation.
Au premier semestre 2025, l'entreprise a généré plus de 500 millions de dollars de profits nets sur les marchés externes — sans affecter le niveau des réservoirs. Acheter de l'électricité sur les marchés externes quand les prix sont bas (Hydro-Québec a importé 6 TWh à environ 5 ¢/kWh), puis la revendre quand les prix grimpent sur les marchés américains, notamment durant les vagues de chaleur ou les pics de demande.
Cette optimisation de la stratégie commerciale transforme la volatilité des marchés énergétiques nord-américains en une source de financement stable pour les investissements domestiques. Ce n'est pas nouveau qu'Hydro-Québec exporte — ce qui est nouveau, c'est l'ampleur de la performance financière et l'utilisation explicite de ces profits comme mécanisme de financement alternatif face au plafond tarifaire.
Le résultat est spectaculaire : au premier semestre 2025, le bénéfice net a bondi de 23%, atteignant 2,3 milliards de dollars. Cette performance exceptionnelle a permis de financer une hausse de 20% des investissements en immobilisations, qui ont atteint 3,3 milliards de dollars — sans toucher aux tarifs des Québécois. Le cercle vertueux est enclenché : les profits externes subventionnent les chantiers domestiques.
Bouchard accélère également l'avancement des interconnexions stratégiques vers New York et la Nouvelle-Angleterre, infrastructures essentielles pour accéder aux marchés les plus rentables. Ces lignes ne sont pas de simples exportations — ce sont les canaux qui permettent de convertir la capacité excédentaire québécoise en capital d'investissement pour la modernisation.
La croissance de 13% de la capacité totale d'énergie d'Hydro-Québec au premier semestre 2025 soutient cette stratégie, confirmant que l'entreprise dispose des ressources nécessaires pour à la fois répondre à la demande domestique croissante et optimiser ses revenus d'exportation. L'intensification de cette stratégie commerciale sous Bouchard assurera le financement des investissements massifs requis par le Plan 2035, tout en respectant le plafonnement tarifaire.
Deuxième levier
Construire moins cher, plus vite
Le deuxième levier est opérationnel. Pour respecter le plafond tarifaire tout en construisant massivement, Bouchard mise sur une refonte intégrale des méthodes de construction.
Robotique, préfabrication, optimisation des processus : l'objectif est de réduire les coûts et les délais de construction de 20 à 30%. Ce n'est pas de l'optimisation marginale — c'est la variable d'ajustement centrale qui rend son plan financièrement tenable. Si Hydro-Québec continue à construire comme dans les années 1970, le budget explose. Si elle adopte les méthodes de l'industrie moderne, elle peut livrer davantage, plus vite et à moindre coût.
Chaque dollar économisé sur les chantiers grâce à la préfabrication permet d'investir ailleurs sans hausser les tarifs. L'agilité, telle que prônée par la nouvelle PDG, n'est donc pas une simple qualité organisationnelle, mais un impératif financier.
La réforme réglementaire de juin 2025 lui donne un outil supplémentaire : la liberté de conclure des contrats d'approvisionnement en énergie renouvelable sans passer par des appels d'offres publics. Cette flexibilité est décisive. Les appels d'offres traditionnels peuvent prendre des années — consultations, évaluations, contestations juridiques. En éliminant ces lourdeurs administratives, Bouchard peut négocier directement des partenariats stratégiques et accélérer le déploiement des 10 000 MW d'éolien prévus.
Le premier fruit visible est arrivé rapidement : en août 2025, à peine un mois après sa prise de fonction, Hydro-Québec a annoncé un partenariat historique pour le développement éolien dans l'Est-du-Québec. Cette rapidité d'exécution confirme que le nouveau cadre réglementaire, combiné à un leadership audacieux, peut accroître la vitesse de déploiement.
Troisième levier
Co-développer avec les Premières Nations
Le troisième levier est le plus audacieux : redéfinir la relation avec les communautés autochtones d'une obligation de consultation — souvent source de retards et de litiges — en un partenariat stratégique d'affaires.
L'initiative la plus marquante est le développement du potentiel éolien dans la zone de Nutinamu-Chauvin, dans la région du Saguenay-Lac-Saint-Jean. Plutôt que de demander l'autorisation aux Premières Nations après coup, Hydro-Québec les fait participer dès le départ en tant que partenaires, promoteurs et actionnaires — avec une répartition égale des participations : 50 % pour les communautés (Premières Nations Essipit et MRC du Fjord-du-Saguenay) et 50 % pour Hydro-Québec.
Cette approche bouleverse fondamentalement la dynamique. En créant des communautés de co-décideurs et en leur assurant des revenus autonomes directs, Bouchard transforme un risque de blocage en un accélérateur logistique. Les communautés ne sont plus des parties prenantes à consulter, mais des partenaires investis dans le succès du projet. Résultat : acceptabilité sociale accélérée, permis plus rapides, conflits évités.
C'est un modèle de réconciliation économique qui va au-delà du symbolique. Dans un contexte où la majorité des 10 000 MW d'éolien devra être construite sur des territoires éloignés, souvent en terres autochtones, ce type de partenariat n'est pas seulement moral — c'est une stratégie d'exécution indispensable pour garantir le rythme soutenu de construction exigé par le Plan 2035.
Ce modèle s'inspire de succès existants. En Gaspésie, les communautés mi'gmaq propriétaires d'une part du parc éolien Mesgi'g Ugju's'n ont acquis des parts majoritaires dans une entreprise de maintenance en 2023, ce qui a accru leur participation à l'écosystème éolien et généré des revenus durables pour leurs communautés. Bouchard étend cette approche en en faisant un pilier stratégique plutôt qu'une exception.
La signature de l'Entente de relation avec la Première Nation des Innus d'Ekuanitshit en juin 2025, qui règle définitivement certaines doléances historiques liées aux complexes de La Romaine et du lac Robertson, illustre également cette volonté de substituer une collaboration durable aux pénibles contentieux du passé. En réglant proactivement les litiges hérités, Hydro-Québec libère de l'énergie et de la confiance pour les projets à venir.
Le leadership comme arbitrage
Le véritable talent de Claudine Bouchard ne réside pas dans un seul de ces leviers pris isolément, mais dans sa capacité à les orchestrer simultanément pour résoudre un triptyque de contraintes apparemment incompatibles :
Contrainte politique : Plafond tarifaire de 3% imposé pour protéger les consommateurs
Contrainte infrastructure : Modernisation du réseau + réduction des pannes de 35%
Contrainte de croissance : Ajout de 13 000 MW de nouvelle capacité
Elle résout ce triptyque grâce à trois mécanismes compensatoires : l’exportation finance ce que les tarifs domestiques ne peuvent pas couvrir ; l’innovation technologique radicale réduit les coûts unitaires de construction et les partenariats autochtones accélèrent l’exécution en transformant les blocages potentiels en alliances stratégiques.
Aucun de ces leviers, pris isolément, ne suffit. C'est leur combinaison qui rend le tout possible.
C'est un modèle de leadership adaptatif. Face à des contraintes multiples et contradictoires, les leaders qui réussissent ne cherchent pas à les contourner — ils en font les piliers de leur stratégie. Bouchard ne subit pas le plafond tarifaire comme une limitation ; elle en fait la raison d'être d'une révolution opérationnelle. Elle ne déplore pas l'instabilité passée, elle utilise son engagement de long terme comme signal de changement culturel. Elle ne négocie pas avec les communautés autochtones par obligation ; elle en fait des co-investisseurs pour accélérer l'exécution.
Les résultats du premier semestre 2025 confirment que cette orchestration fonctionne : croissance spectaculaire simultanée des investissements et des bénéfices. Bouchard prouve déjà qu'elle peut générer les ressources financières nécessaires tout en maintenant des tarifs stables et qu'elle peut accélérer le rythme de déploiement grâce à des équipes engagées, des technologies de pointe et des partenariats innovants.
La leçon transférable
Le leadership de Claudine Bouchard illustre un principe fondamental : dans un monde de multiples contraintes, les leaders qui réussissent n'attendent pas que les conditions soient idéales. Ils transforment les obstacles en architecture stratégique.
Combien de dirigeant.es, face à un plafond de revenus et des exigences croissantes, se contenteraient de gérer le déclin ou de réclamer davantage de ressources ? Bouchard fait le pari inverse : elle utilise la contrainte comme catalyseur d'une refonte à laquelle l'organisation aurait sans doute résisté dans des conditions « normales ».
Le plafond tarifaire devient la justification politique pour imposer une révolution opérationnelle — robotique, préfabrication, nouveaux partenariats.
Son succès se mesurera dans une décennie, lorsque les 13 000 MW seront déployés et que le réseau centenaire aura été modernisé. Mais dès maintenant, elle démontre qu'avec les bons leviers, l'impossible devient possible. Ce n'est pas seulement la somme des ressources qui détermine l'ambition, c'est la créativité collective avec laquelle on ouvre des chemins là où il n'y en avait pas.
Pour tous les leaders confrontés à des équations apparemment insolubles — croissance exigée mais budget restreint, transformation urgente mais résistance institutionnelle — Bouchard offre un modèle : soyons déraisonnables.
Pour aller plus loin :
La transformation d'Hydro-Québec exigera non seulement des infrastructures repensées, mais aussi une refonte des compétences et des talents. Découvrez comment Julie Peck transforme TalentNeuron pour maîtriser l'avenir du travail — une approche de la planification des talents qui pourrait inspirer les grands transformateurs d'infrastructures.
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Références
Extrait : Interview avec Claudine Bouchard (Projets de barrages, Agilité, Durée du mandat) https://www.youtube.com/watch?v=hfmqu3Qh33I
Extrait : Analyse de la nomination de Claudine Bouchard (Rôle de vache à lait, Plafond tarifaire 3%, Agilité) https://www.youtube.com/watch?v=sSedAengXLc
Citation : « Les gens, soyons déraisonnables. https://www.reddit.com/r/Quebec/comments/1m0qf70/la_pdg_dhydroqu%C3%A9bec_veut_des_employ%C3%A9s/
Communiqué de presse : Bénéfice net et investissements d'Hydro-Québec en hausse de plus de 20 % au premier semestre (Stratégie commerciale, 500 M$ de bénéfices nets sur marchés externes)
Projet éolien : Développement du potentiel éolien de la zone Nutinamu-Chauvin (Partenariat 50/50 avec Innus Essipit et MRC)
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